Y’a longtemps qu’on cherche à nettoyer Centre-Sud. Jusqu’au nom qui fait pas assez class, paraît que « les faubourgs » est plus vendeur, surtout pour les promoteurs de condos qui ont toujours le tour de te faire sentir spécial, comme au Ouimetscope (la boîte à condos, pas le cinéma original) où tu peux avoir une suite Clint Eastwood. Tout en cohérence (et en modestie).
Mais bon, le processus de nettoyage est pas toujours mercantile, des fois on rase pour mettre un peu de vert, comment être contre le vert? Et si le Plateau a son parc Lafontaine avec son étang et son parc Laurier avec trop de Français qui font des barbecues, Centre-Sud a son parc des Faubourgs au pied du pont Jacques-Cartier qui te donne une vague impression de bucolique si tu fermes les yeux, te bouche les oreilles et essaie très fort. On appelle ça de la suggestion.
Donc le parc des Faubourgs. On voit l’intention lamineuse de la Ville en regardant le descriptif qui ne laisserait pas deviner la richesse de ce qui se trouvait dessous avant.
À l’inverse, le monde de la place entretiennent un souvenir quelque peu différent, à témoin le bédéiste Richard Suicide qui, en tant que résidant de longue date du coin, l’a restitué en des fresques aussi somptueuses que bordées de finesse anthropologique.
On apprend ainsi que le coin de terre autrefois nommé l’îlot Huron et maintenant recouvert d’un gazon et de fontaines des plus socialement acceptables (assez qu’on y prend maintenant des petites photos de couples cutes – voir plus haut) abritait autrefois un genre de no man’s land de la culture de bicycles, notamment le bunker des Rock Machines, ennemis des Hell’s Angels qui se sont bombardés joyeusement dans les années 1990. On comprend au fil des récits psychédéliques que le quartier a changé pas mal, et ce malgré l’attention toujours à portée de main des corps stressés qui souhaiteraient relâche grâce à de professionnelles attentions…
Donc, tant qu’à être dans le coin, on pourrait y aller à propos de la démolition de presque tout l’îlot Huron (un paquet de locaux tout croches et de commerces miteux autour de la rue Huron, enserrés entre De Lorimier, Papineau et l’entrée du pont Jacques-Cartier, incluant la magnifique cour à scrap de la Ville de Montréal). Ils ont rasé tout ça il y a une douzaine d’années, opposition zéro à l’époque vu que dans l’échelle du « glauque atroce », ce coin aurait tapé un 11 sur 10. En fait, c’était pas vraiment un bon endroit pour chercher son parapluie, un vrai rape zone. Y z’ont fait semblant de décontaminer le terrain, planté quelques arbres, placé une belle fontaine moche et appelé ça « le parc des Faubourgs ».
Alors d’un côté l’histoire officielle, le passé lointain qui a presque l’air coquet avec un siècle ou deux de recul, de l’autre, celle des pouilleux qui la vivaient au quotidien avec une perspective disons plutôt différente, et finalement des efforts de revitalisation urbaine qui sonnent parfois plus comme du marketing de promoteur qu’autre chose. À qui le Centre-Sud? À ceux qui l’habitent, ciboire. Pis tant pis si ça sent le gaz (dit un ex-pompiste).
Merci à Richard Suicide pour son autorisation à utiliser ses illustrations. Je ne saurais trop recommander son livre Chroniques du Centre-Sud, tant aux amateurs de BD que d’histoires drôles et trash…
Très intéressant, instructif et humoristique!