Le bord du fleuve

De l’Ontario à la Sainte-Catherine en passant pas les ruelles pouasseuses et les petits parcs qui piquent, il est facile d’oublier que Centre-Sud s’étend de la côte Sherbrooke jusqu’au fleuve. C’est d’ailleurs des manufactures qui bordaient autrefois le fleuve et des histoires de dockers que lui venait son ancien nom de Faubourg à m’lasse.

Il reste aujourd’hui peu de chose de la proximité riveraine aux habitants du quartier, la bière étant un liquide bien souvent pas mal plus familier (et sécuritaire) que les eaux plus ou moins filtrées du fleuve. Reste qu’une petite promenade en dessous du pont donne l’occasion de voir de près des monuments non négligeables de l’histoire du quartier, à commencer par l’usine Molson, qui abreuve depuis 1786 la gente ouvrière de bière douteuse et éclaire la populace de son horloge qui donne même la température. Pour les ceuzes qu’y’ont pas de iPhone, tsé. Et parce qu’un bon travailleur est un travailleur à l’heure.

molson

Toujours dans le registre patrimonial de la domination anglo-saxonne avec tout ce qu’elle nous a laissé d’architecture victorienne, on remarquera, coin de Lorimier et Notre-Dame, les vestiges de la prison Au-Pied-Du-Courant, aujourd’hui occupée par le siège social de la SAQ, dans laquelle furent emprisonnés et pendus plusieurs rebelles patriotes, notamment François-Marie-Thomas Chevalier de Lorimier, dont le cinéaste Pierre Falardeau a rendu les derniers moment de façon magistrale dans son film 15 février 1839.

prison
on remarquera que le drapeau patriote, à la gauche de l’image, volait pas bien haut. question de vent ou de climat, c’est selon.

Bon, là tu t’arrêtes pis tout ce que tu vois c’est une rampe qui donne, quelques mètres plus bas, sur des rails de chemin de fer et des conteneurs et tu te demandes elle est où la poésie, bâtard? C’est là que t’entends du beat impromptu et vois au loin d’improbables structures de bois avec, semble-t-il, beaucoup de beau monde autour qui se déhanche et tu te textes à toi-même: WTF!?! Bienvenue au Village au Pied-du-Courant.

C’est quand même intéressant de permettre aux Montréalais abonnés au béton et ses craques de pouvoir profiter un minimum du fleuve qui les entoure, parce qu’il faut quand même avouer qu’il y a un paradoxe au fait qu’on ignore pratiquement que Montréal soit une île et, de ce fait, bordée d’eau. Ça prend pourtant pas grand chose pour mettre sur place un beach party avec la faune du coin, juste une couple de trucks de sable et des grosses chaises longues plutôt design, des conteneurs de bouffe et de bière et l’affaire est entendue.

village

Mais il y a plus. Juste à l’entrée du site, côté ouest, pas moins d’une trentaine de tripeux se sont lancés le défi de construire à la main, avec du bois de frêne abattu à cause de l’agrile (une ostie de bibitte venue d’Asie qui hécatombe un nombre incalculable des arbres de la ville), un voilier de 25 pieds. Rien de moins. Avec pas de colle ni de vis. Enfin, presque pas de colle, parce qu’il y a parfois des imprévus qui viennent à bout de la meilleure volonté des jeunes marins urbains les plus motivés.

Initié par le navigateur Yves Plante, ce projet permet aux participant.e.s de se familiariser avec la construction d’un voilier qui allie les traditions de trois nations: la voile européenne, le bois plié selon la technique autochtone (le bois est chauffé à la vapeur), ainsi que la coque en toile qui vient des Inuits. Ça ressemble à ça:

pont-bateau

marins

Alors si tu veux prendre un peu d’air frais sans trop être dépaysé, viens faire un tour au bout de de Lorimier, tu pourras sentir un petit fond d’air marin avec, en toile de fond, des wagons qui transportent des conteneurs en grinçant, c’est tout ce qu’il y a de plus typique. Tu pensais quand même pas voir une étendue verdoyante dans Centre-Sud, sérieux?

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