Tout le monde sait que le maire Coderre a le sens des priorités à la bonne place et, entre autres enjeux sociaux dont il faut clairement se réjouir qu’il y consacre sa légendaire et hyperactive fougue, le retour des Expos à Montréal doit clairement faire rêver Youppi de doux dilemmes existentiaux. Quelque chose comme « une ville, une mascotte ». Orange. Il lui resterait seulement à coloniser l’Impact.
On aura beau dire, notre gros petit bonhomme de maire met quand même le doigt sur un passé riche quant à la balle, l’époque des Expos (1969-2004) ne constituant en fait que le volet le plus récent de l’intérêt des gens d’ici pour un sport impliquant le plus souvent des joueurs immobiles, parfois obèses, portant la culotte et habilités à chiquer du tabac et cracher pour la peine devant une foule abasourdie, transportée d’émotions et gavée de steamés moutarde-choux.
En fait, les Expos auront succédé, dans les ligues majeures, aux Royaux qui évoluèrent dans les ligues mineures de l’Est et internationale de 1897 à 1917 et de 1928 à 1960, constituant même le principal club-école des Dodgers de Brooklyn, de 1939 à 1960. Le retour des Royaux à Montréal dans les années 1920 est orchestré par les hommes d’affaires Athanase David, Ernest Savard et George Stallings, qui financent la construction du Stade De Lorimier, à l’angle des rues Ontario et de Lorimier, en plein Centre-Sud et à deux pas de l’usine MacDonald qui fournit, comme les autres usines du quartier, un important bassin de spectateurs pour l’équipe.
On est alors à l’époque de l’industrialisation galopante de Montréal et du Québec, un important flot de personnes arrivant des campagnes pour se trouver du travail en ville. Dans ce contexte, malgré les efforts de l’Église de quadriller le tissu urbain de paroisses et d’y reproduire la vie tranquille, morale et contrôlée de la campagne, la réalité est que les ouvriers et leurs familles se tournent de plus en plus vers les divertissements comme le sport, le cinéma (le Ouimetoscope par exemple) et d’autres vices plus obscurs encore pour se changer les idées des conditions de travail souvent pénibles.
L’équipe est donc rapidement adoptée par ses partisans et ne les déçoit pas, les Royaux ayant été l’équipe la plus titrée de l’histoire de la ligue internationale. L’histoire des Royaux est de plus marquée de façon indélébile par le passage de Jackie Robinson, en 1946, qui devint le premier Noir à évoluer dans les ligues majeures de baseball. Les Dodgers ayant signé Robinson, ils l’envoyèrent dans leur club-école de Montréal afin que celui-ci se familiarise avec l’hostilité des foules blanches (surtout chez les équipes adverses) dans un milieu, Montréal, qui était reconnu pour être plus ouvert d’esprit et moins raciste que ne l’étaient les États-Unis de l’époque.
Domiciliée dans le quartier Villeray (8232, avenue de Gaspé), la famille Robinson est rapidement adoptée par son voisinage, d’autant que Rachel, la femme de Jackie, est alors enceinte de leur premier enfant. Cette acceptation bienveillante du voisinage est rapidement suivie de celle des partisans qui s’enthousiasment du talent de la recrue. Robinson connaît d’ailleurs une année de feu (il a les meilleures statistiques de l’équipe) et transporte les Royaux jusqu’au championnat en marquant le point vainqueur lors du dernier match des petites séries mondiales.
Dans un élan collectif comme le Québec n’en connaît que lorsque le Canadien gagne en séries ou du temps où l’alcool était encore permis à la Saint-Jean sur les Plaines, la foule descend alors sur le terrain et prend Robinson sur ses épaules en chantant. Celui-ci finit par s’échapper en se sauvant par les vestiaires, ce qui fait dire à Sam Maltin, un journaliste de Pittsburgh:
It was probably the only day in history that a black man ran from a white mob with love instead of lynching on its mind.
(C’est probablement la seule fois dans l’histoire où un homme noir s’est sauvé d’une foule blanche remplie d’amour plutôt que du désir de le lyncher.)
Fort de cette expérience, Robinson passa l’année suivante aux ligues majeures, ouvrant la voie à tous les joueurs noirs qui lui succédèrent et connaissant lui-même une brillante carrière. Lorsqu’il prend sa retraite en 1957, 13 des 16 équipes de la ligue ont incorporé des joueurs noirs. Il entre au temple de la renommée en 1962 à sa première année d’éligibilité et son numéro, le 42, est retiré dans toutes les équipes de la ligue (un honneur unique), en 1997.
Aujourd’hui, le stade De Lorimier a laissé sa place au parc des Royaux, à un terrain de football et de baseball, ainsi qu’à l’école secondaire Pierre-Dupuy. Une plaque commémorative se trouve d’ailleurs au coin des rues Ontario et de Lorimier pour souligner l’histoire des Royaux et celle de leur plus célèbre joueur.
Ironiquement, le sort aura voulu que le baseball se soit poursuivi plus à l’est encore, dans Hochelaga-Maisonneuve et son stade olympique aux milles déboires. Enfin. Le hockey, lui, a compris depuis longtemps que c’est au centre-ville (et en bilingue) que la piasse se fait.
L’histoire des Royaux de Montréal sur Wikipédia
L’histoire de Jackie Robinson sur Wikipédia
Beau texte intéressant, instructif. Et ce sans oublier la poésie du titre !
Merci camarade!